Antigone – Le texte

Une tragédie de Sophocle

Vraisemblablement présentée en 440 avant J.-C., Antigone offre la gloire à son auteur, alors quinquagénaire. Elle suit de vingt-six année la tragédie d’Eschyle, Les Sept contre Thèbes. Elle le fait entrer définitivement dans le panthéon des grands auteurs tragiques grecs, avec Eschyle.

Une adaptation de P.-F. Kettler

Après avoir trituré le texte dans tous les sens pendant des années, je livre ici sa version finale, celle qui a été présentée en 2013-2014 au Théâtre du Nord-Ouest.
Vous pouvez télécharger le texte d’Antigone ou lire la première scène ci-dessous.

ANTIGONE

Personnages

Antigone, fille d’ Œdipe ;
Ismène, fille d’ Œdipe ;
Créon, leur oncle, roi de Thèbes ;
Hémon, fils de Créon, fiancé d’Antigone ;
Eurydice, femme de Créon ;
Le devin Tirésias ;
Un garde ;
Un messager ;
Un serviteur ;
Le Chœur.

Scène 1

Antigone
Ismène, ma sœur, connais-tu un seul malheur qui puisse, un jour, nous être épargné, à nous, les filles d’Oedipe ? Avons-nous connu un seul jour sans chagrin, sans malédiction, sans affront, ou sans mépris ? Le bruit court d’une loi scélérate proclamée par Créon… La connais-tu ? ou ne sais-tu rien encore ?
Ismène
Je ne sais rien, Antigone. Ni à joie, ni à douleur, rien ne m’est parvenu. Hier, nous avons perdu nos deux frères, tués l’un par l’autre. La nuit a englouti l’ennemi en fuite. Je ne sais rien d’autre.
Antigone
Je le savais. Écoute. Nous sommes sorties du palais pour que personne ne nous entende.
Ismène
Écouter quoi ? Qu’est-ce que tu as derrière la tête ?
Antigone
Apprends l’offense : la sépulture due à nos deux frères, Créon l’accorde à l’un, il la refuse à l’autre. Etéocle, il le fait ensevelir selon le rite, mais Polynice, il abandonne son corps aux rapaces, aux chacals, et aux rats. Il défend qu’on l’enterre ! Il défend qu’on le pleure !
Voilà ce qu’on raconte. Voilà ce que Créon, dit le juste, veut nous imposer, à nous, à toi et à moi, oui, à moi ! Il viendra en personne le proclamer ici. Pour lui, tout contrevenant sera lapidé à mort.
Ismène, montre aujourd’hui ton sang, ou trahis-le.
Ismène
Moi, mais que puis-je, malheureuse ?
Antigone
Veux-tu m’aider, veux-tu lutter avec moi ?
Ismène
Que veux-tu faire ? Où s’égare ta pensée ?
Antigone
Regarde cette main. Aide-la à ensevelir le mort.
Ismène
Tu veux l’enterrer ? C’est interdit !
Antigone
Il est mon frère ; il est le tien, même si tu l’oublies. Moi, je ne le trahirai pas.
Ismène
Pauvre folle ! Et la défense de Créon ?
Antigone
Créon n’a aucun droit sur ceux que j’aime.
Ismène
Oh ! Antigone, souviens-toi… Souviens-toi de la mort de notre père, ses crimes, comment il les a lui-même mis au jour, comment ses mains ont crevé ses yeux, souviens-toi de notre mère, sa mère ! morte une corde autour du cou ; souviens-toi de nos deux frères, enfin, n’échangeant que des coups, ne partageant que la mort !
Regarde-nous, Antigone, seules, abandonnées. Si nous allons contre la loi, nous périrons. Nous devons obéir. Nous sommes femmes, nous sommes faibles. Le pouvoir est toujours le plus fort. Il faut lui céder ou s’attendre au pire.
Antigone
Je ne te demanderai plus rien. Va ton chemin. Je vais enterrer mon frère. Je trouve beau de mourir pour cela. Aimée, je reposerai auprès de celui que j’aime. Va, méprise l’amour.
Ismène
Je ne méprise rien. Mais je n’ai pas de force contre la loi des forts.
Antigone
Trouve tes excuses… Je vais purifier mon frère.
Ismène
Malheureuse, que j’ai peur pour toi !
Antigone
Crains pour toi, file.
Ismène
Ne dis rien à personne… Je me tairai. Ton secret est mon secret.
Antigone
Ah non ! Dénonce-moi au contraire. J’aurais horreur de ta complicité.
Ismène
Tu brûles d’amour, Antigone, mais c’est pour les morts.
Antigone
J’aime qui je dois aimer.
Ismène
Tu veux l’impossible.
Antigone
Peut-être. Dans ce cas, je connaîtrai mes limites.
Ismène
Il est mal de tenter l’impossible.
Antigone
Arrête ! ou je te haïrai, et le mort avec moi. Laisse-moi, avec ma folie, risquer l’infini.
Antigone sort.
Ismène
Va, insensée. Tu le veux, alors va, Antigone. Oh, folle, folle, mais chère à ceux qui t’aiment.

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