Critique de la première

ANTIGONE 2013

Thèbes, aujourd’hui, n’est plus guère, au milieu des douces collines de Béotie, non loin d’Athènes, qu’une grosse ville poussiéreuse, qui ne conserve de son antique gloire que quelques pauvres murailles arasées, quelques blocs épars, quelques sculptures brisées. Juste assez cependant pour que ces maigres vestiges permettent à l’imagination de s’envoler, à l’esprit de travailler, à nos pensées d’aujourd’hui de rejoindre celle des tragiques grecs qui ont chanté cette cité il y a 25 siècles. Le dépouillement sied à la tragédie grecque, forte de ses mots, puissante de son propos: l’homme.
Ici nous retrouvons, grâce à l’adaptation – respectueuse du texte – de Pierre-François Kettler, un décor réduit à l’extrême, laissant place au chant des vers de Sophocle s’élevant d’un sol où des formes vagues se meuvent sous un voile qui évoque le linceul recouvrant le terrible destin des enfants d’Œdipe. Antigone n’est pas un exercice facile, car il nous renvoie tous à quelque chose de familier et d’intemporel, la lutte qui hante l’esprit humain depuis toujours, entre la raison d’État, ici appuyée sur le faible Créon, et la morale (associée ici à la justice) appuyée sur les Dieux et, plus profondément, sur le respect dû aux morts , à la mort, et à son mystère, ici porté par la jeune Antigone.

Cette approche de P.-F. Kettler permet la mise en exergue de talents remarquables, qui savent porter un texte à la fois simple, épuré, et profond, et faire entendre à nos oreilles d’aujourd’hui la voix d’un auteur qui depuis longtemps n’est plus que poussière : une résonance de la tombe.
Ainsi Lucie Carta réussit à donner une force, une présence étonnante à cette Ismène si souvent négligée, cette sœur prise entre l’amour fraternel et la fidélité à la loi, entre le désir d’aider Antigone et la crainte du châtiment, mais qui se rallie à la justice.
Orcy, qui interprète le Coryphée, donne le ton juste à cette ponctuation de la raison qui tente de fléchir Créon.
Mourad Boudaoud sait crier la colère de Hémon devant l’injustice de son père, et devant ce qu’il sait être pour lui un destin brisé.
Le plus étonnant dans cette Antigone reste cependant le personnage du Gardien, préposé à la surveillance de la dépouille de Polynice, abandonnée sur ordre de Créon aux charognards ; le Gardien est un contrepoint social à l’intérieur de la tragédie, il est le petit peuple, l’homme ordinaire, confronté à une assemblée de personnages appartenant à l’élite de sa cité, et marqués par une destinée fixée dans le malheur. Dans ce rôle difficile, Bouzid Laiourate réussit l’exercice ardu de conjuguer très subtilement la gravité inhérente au drame qui se joue et la familiarité, la simplicité de langage et de principes de cet honnête homme qui sent le danger le frôler : l’habileté de B. Laiourate, qui prend le public à témoin, qui donne volontairement un ton presque désinvolte ou provoquant à certaines phrases, nous rend, à travers ce Gardien si étonnant, un peu de l’humanité simple qui échappe aux autres personnages, pris dans les rets d’un destin funeste.
Reste la magie d’Antigone, l’art de nous attirer en nous mêmes, nous forçant à nous interroger sur ces notions qui n’échappent à personne : le destin, la justice, la raison, l’amour, la mort.

H. BRISSET-GUIBERT, 25 11 2013

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