Une habitude ou une tradition ?
La « deuxième » a mauvaise presse au théâtre. Après l’éclat de la première, où l’œuvre a été exposée pour la… première fois au public, un peu de l’énergie initiale est retombée, et fréquentes sont les chutes de rythme lors des secondes. Voilà pourquoi les « deuxièmes » ont mauvaise réputation.
Mais ce n’est pas de cela dont je vais parler ici, même si je vais prendre comme point de départ l’état dans lequel je me suis trouvé, en tant qu’acteur, à la fin de cette « deuxième ».
Le ressenti de l’acteur après la représentation
Que dire, qu’écrire quand l’acteur a l’impression d’avoir raté sa représentation, de n’avoir pas été dedans ou même, comme il lui arrive de dire, d’avoir été mauvais comme un cochon (pauvre porc, coupable, malgré sa soie, de tant de maux !) ?
Il m’est souvent arrivé, autrefois, de sortir de scène mécontent de mon parcours et de l’exprimer aux amis venus m’applaudir. Je pestais à haute voix contre mon manque d’engagement, mon absence d’état de grâce, mon manque de talent… devant des camarades qui, bien évidemment, se récriaient (Pas toujours les copains acteurs, mais ceci est une autre histoire…)
Ego et parole
Il m’a fallu quelques années avant de comprendre que ce n’était pas parce que mon ego n’était pas satisfait de sa prestation qu’il me fallait l’exprimer après le spectacle.
J’ai fini par entendre en moi une petite voix qui me soufflait : À la fin d’une représentation, l’acteur, quand retourne le personnage avec son costume dans la poussière de l’histoire et de l’auteur disparu quelques siècles auparavant, l’acteur doit se taire.
Le spectateur
Le spectateur est venu, il a vu, il a reçu. Chargé de ces mots, de ces images transfigurées par le verbe, il ressort bouleversé ou, du moins, oscillant entre deux mondes. Cet état, qui peut être de grâce, mérite le respect. Il ne nous est pas toujours donné d’entrer en communion avec nous-mêmes. C’est le propre des grandes œuvres de nous faire plonger dans nos profondeurs.
L’acteur et ses états d’âme
Parfois, le malaise qui doit habiter les mots dits par le personnage verse dans l’acteur, et ce dernier se déconsidère, mécontent de lui-même, projetant ainsi ses frustrations.
Il a tort.
L’art du théâtre prend place ici et maintenant.
Alchimie
Quand les lumières du rêve, du spectacle, s’éteignent, le spectateur a reçu un cadeau, un trésor (qui, désormais lui appartient) et, tel un alambic, il lui échoit (ou non) de donner son point de vue afin d’exprimer son ressenti ou, du moins, le regard qu’il a porté sur l’œuvre. Il lui est donné de recréer, de refaire le parcours des créateurs du spectacle auquel il a assisté.
Il est alchimiste, il lui est loisible de transformer le plomb en or.
Le rôle de l’acteur
L’acteur ne peut et ne doit plus interférer en cette opération livrée au plus intime de soi.
Les regards sont dissemblables, les points de vue différent (et c’est aussi la grandeur du théâtre qu’aucune représentation ne ressemble à une autre ; et pour l’acteur ; et pour le spectateur).
Certains incidents, qui semblent des catastrophes pour l’acteur illuminent la soirée de certains spectateurs et en agacent d’autres. C’est ainsi, sensibilités et perceptions différent.
Le rôle du spectateur
Il appartient au spectateur de recevoir. Une fois que l’acteur est sorti de scène, il n’a, par définition, plus de rôle à tenir. Ce dernier n’a plus à interférer dans ce qu’a reçu celui venu l’applaudir.
Certains metteurs-en-scène ou directeur de théâtre, considèrent qu’il doit juste dire merci et retourner à l’obscurité de la nuit qui l’a, pour quelques temps, jeté dans le théâtre.
Pour ma part, je considère que le théâtre est d’abord échange, et chacun peut remercier l’autre d’être venu à sa rencontre ce soir-là.
Le silence
Les mots sont-ils nécessaires après la représentation ?
Le silence, ce que d’aucuns nomment le recueillement, est ce qui me parait le plus juste après la représentation… comme après toute réception d’œuvre (peinture, sculpture, poésie, cinéma, musique et… théâtre).
Où êtes-vous cachées, déesses des arts, ô muses ?
En chacun d’entre nous, dans toutes nos diversités.
Ce silence intérieur est nécessaire pour le spectateur qui rentre chez lui, dépositaire d’un secret capté par ses sens et son esprit et qu’il ne peut et ne doit révéler qu’à lui-même.
L’acteur, de même, rentre chez lui et il retourne aussi au silence.
Métaphore de la vie, le théâtre, quand s’éteignent les lumière, retourne au silence.
Ce sont les silences qui ont permis au spectateur d’entendre, de percevoir, de rêver, lors de la représentation.
Ce sont les silences qui ponctuaient les paroles de vie données par l’acteur sur scène.
C’est le silence qui permet à l’acteur et au spectateur de retourner au quotidien, au brouhaha de la vie.
…Afin que renaisse la parole
Pierre-François Kettler
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